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trant les crocs à la moindre approche suspecte. Quand il voyait passer quelque rôdeur de mauvaise mine, porteur d’un sac, il se réfugiait sous le comptoir avec des grognements sourds.

Au commencement du siége, les postes des remparts avaient une nombreuse clientèle de chiens qui s’y étaient installés à demeure ; ils saluaient de battements de queue la garde descendante et accueillaient de joyeux abois la garde montante. Ils partageaient l’ordinaire du soldat, moblot ou sédentaire, mais ils ne prenaient que la viande offerte et dédaignaient le pain d’une narine superbe. La faim ne tarda pas à les rendre moins difficiles ; mais, au bout de quelque temps, de convives, ils s’élevèrent à l’état d’objet de consommation. Ils allongèrent la ration un peu courte ou furent vendus à des restaurateurs de troisième ordre. Les postes se dégarnirent peu à peu de leurs hôtes.

Un seul chien demeura fidèle au secteur. On le voyait se promener le long du rempart, comme accomplissant une ronde, efflanqué, disséqué par la maigreur, l’épine dorsale en chapelet, le nœud de l’échine proéminent, les apophyses des jointures perçant presque la peau, les côtes faisant