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reflets et traversée d’un unique omnibus dont les lanternes rouges brillaient comme les yeux d’un monstrueux insecte rampant dans l’obscurité.

Après avoir suivi plusieurs rues, qui ressemblaient, tant elles étaient sombres, à des traits de scies dans des blocs de marbre noir, nous arrivâmes à la maison de notre ami, qui était allé aux nouvelles, car c’est encore l’aliment qu’on cherche avec le plus d’avidité, quelque maigre chère qu’on fasse. Force nous fut donc de retourner au logis, et là, les pieds contre un petit feu de veuve, éclairé d’une seule bougie (il faut en état de siége ménager la lumière et le feu), tenant en main un livre pris au hasard sur la planche de sapin qui supporte les épaves de notre bibliothèque, nous commençâmes assez tristement notre soirée solitaire.

Ce volume était le Théâtre d’Eschyle, ce fier génie qui, dédaignant sa gloire de poëte, ne parla dans l’épitaphe qu’il se fit lui-même que de sa gloire de soldat. « Ce monument couvre Eschyle, fils d’Euphorion. Né Athénien, il mourut dans les plaines fécondes de Géla. Le bois tant renommé de Marathon et le Mède à la longue chevelure diront s’il fut brave. Ils l’ont bien vu. »