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mée livide. La Seine roule ses flots couleur d’encre, épais, huileux comme ceux du Styx ou de l’Achéron. A de courtes distances, un fanal à la proue, un fanal à la poupe, projetant des lueurs par les fenêtres de leurs cabines, passent des bateaux-mouches. Ils s’arrêtent aux débarcadères et, sous la lumière des lanternes, à travers un fourmillement confus d’ombres, se dessinent des groupes étranges, d’une apparence fantastique et spectrale. Ce sont des blessés qu’on rapporte ; ils ne resteront pas du moins jusqu’au pâle matin d’hiver sur le champ de bataille et le froid nocturne ne les soudera pas avec leur sang coagulé à la boue glaciale et durcie. Des voitures, des brancards les emmènent aux ambulances, où les attendent les soins les plus empressés. Leur glorieuse journée est faite, et si la douleur les laisse dormir, ils rêveront de victoire et de délivrance.

Sur la façade éteinte du Louvre, de l’autre côté de l’eau, flamboient deux grandes fenêtres avec des palpitations rougeâtres qui feraient croire à un incendie intérieur. Sur ce fond lumineux vont et viennent, comme des ombres chinoises mal appliquées au transparent, des silhouettes vagues, occupées d’une besogne mystérieuse. L’anhélation