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lady Macbeth avec sa lampe, ou entrer le spectre dans Hamlet ; en bien regardant cette belle jeune fille, vous découvrez dans ses yeux bleus un reflet vert suspect, la vive rougeur de ses lèvres ne vous paraît guère conciliable avec la pâleur de cire de son col et de ses mains, et au moment où elle ne se croit pas observée, vous voyez frétiller au coin de sa bouche la petite queue de lézard ; le vieux conseiller lui-même a de certaines grimaces ironiques dont on ne peut pas bien se rendre compte ; on se défie de sa bonhomie apparente, l’on forme les plus noires conjectures sur ses occupations nocturnes, et pendant que le digne homme est enfoncé dans la lecture de Puffendorf ou de Grotius, on s’imagine qu’il cherche a pénétrer dans les mystérieuses profondeurs de la cabale et à déchiffrer les pages bariolées du grimoire. Dès lors une terreur étouffante vous met le genou sur la poitrine et ne vous laisse plus respirer jusqu’au bout de l’histoire ; et plus elle s’éloigne du cours ordinaire des choses, plus les objets sont minutieusement détaillés ; l’accumulation de petites circonstances vraisemblables sert à masquer l’impossibilité du fond. Hoffmann est doué d’une finesse d’observation merveilleuse, surtout pour les ridicules du corps ; il saisit très bien le côté plaisant et risible de la forme, il a sous ce rapport de singulières affinités avec Jacques Callot et principalement avec Goya, caricaturiste espagnol trop peu connu, dont l’œuvre à la fois bouffonne et terrible produit les mêmes effets que les récits du conteur allemand. C’est donc à cette réalité dans le fantastique, jointe à une rapidité de narration et à un intérêt habilement soutenu qu’Hoffmann doit la promptitude et la durée de son succès. En art, une chose fausse peut être très vraie, et une chose vraie très fausse ; tout