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nêtres en ogives et son clocher écimé où se démanche aujourd’hui un télégraphe, et où jadis rayonnait, comme si elle venait de descendre du ciel pour se poser sur ce sommet, la statue dorée de l’archange saint Michel, le glaive flamboyant en main.

Toute cette architecture s’élance avec une ardeur d’escalade que les siècles n’ont pas refroidie et semble vouloir prendre d’assaut la montagne qu’elle couvre. Le génie grec cherchait la ligne horizontale, et le génie gothique la ligne perpendiculaire, comme s’il eût essayé d’atteindre et de percer le ciel. L’un exprimait le calme, l’autre l’inquiétude. La vue du mascaret s’avançant dans le Couesnon nous avait fait penser aux chevaux galopant sur la visière du casque de Pallas ; le mont Saint-Michel nous fit voler en idée à l’Acropole d’Athènes, ce rocher soudain se dressant au milieu d’une plaine, fortifié comme celui-ci et renfermant aussi un temple. Mais quelle différence dans l’effet produit ! toute la différence du polythéisme au christianisme, de l’azur à la brume, de la Méditerranée à l’Océan !

Le canot nous dépose au bout de la jetée sur une bande de tangue, parmi d’énormes pierres roulées du haut du mont et confusément entassées. Ces roches baignées deux fois chaque jour par l’eau marine étaient