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térieuse de la lune, crevait et se répandait en nappes immenses sur le sable fin des atterrissements, limoneuse, chargée de tangue, ayant la couleur d’une fange liquide.

Dans ce moment, le ciel grisâtre se barbouilla d’encre et devint d’un noir si foncé, que, si on reproduisait un pareil effet en peinture, il serait accusé d’exagération. Sur ce rideau sombre, le mont Saint-Michel prenait des teintes livides et blafardes et se détachait en clair comme un gigantesque madrépore surgissant du fond de l’Océan. La mer paraissait toute blanche, et ce contraste si brusque, si tranché, produisait un tableau de l’aspect le plus étrange, le plus sinistre et le plus formidable. Ce ciel absolument noir semblait gros de déluge, et l’on eût dit que cette mer laiteuse charriait de la pâte cosmique prise à quelque continent en dissolution ; un crépuscule polaire ajoutait par son demi-jour triste au caractère lugubre de la scène.

L’élévation progressive des eaux atteignant la crête de la digue submersible du Couesnon, une longue cascade de déversement s’établit, et les vagues se précipitèrent avec un grondement sourd dans le lit plus bas de la rivière. Bientôt elles mouillèrent de leur