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de toute sorte, la civilisation l’accomplit comme en se jouant. Vous déjeunez à Paris, vous dinez à Cherbourg ; le matin, vous patiniez sur l’asphalte ; le soir, vous foulez le galet remué par l’Océan, non pas vous seul ou quelques-uns au moyen d’un talisman, du chapeau de Fortunatus, du tapis des quatre Facardins, de la flèche d’Abaris, des bottes de sept lieues, mais toute votre maison, tout votre quartier, toute votre ville. Vraiment, nous ne nous admirons pas assez, et, par une fatuité de dénigrement, nous faisons trop bon marché de notre époque. Nous-même, nous avons dit autrefois du mal des chemins de fer, dont nous ne comprenions pas la poésie ; car rien n’est plus difficile à comprendre que la poésie de son temps. Dans notre mauvaise humeur, nous pressentions que le collectif allait se substituer à l’individuel et le général au particulier. Il faut la nuit aux étoiles ; mais, le jour, le soleil luit pour tout le monde.

L’humanité grandit ; mais, par une loi fatale, l’homme diminue ; il faut être d’une bien haute taille pour dépasser le niveau. Contentons-nous d’être un zéro à la suite d’un chiffre formidable, et regardons, nous cent millième, un magnifique spectacle ; pourquoi le raconter si tout le monde l’a vu ? Aussi ne le racontons-nous pas.