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une précision presque chronométrique, et nous pensions d’avance qu’un niveau plus élevé de quelques centimètres que celui de la veille ne pouvait pas produire de ces cataclysmes à la Martynn, qu’on semblait exiger. Sur divers points du littoral, peu s’en est fallu que l’Océan ne fût sifflé comme un acteur qui oublie son rôle, et que le public désillusionné ne redemandât son argent !

En cas que les grandes eaux ne jouassent pas correctement, nous avions choisi un site capable de nous dédommager par sa beauté intrinsèque. Dans l’espace d’une nuit, le chemin de fer nous jeta à Rennes, où une diligence nous reprit et nous transporta à Pontorson. Une carriole nous fit franchir le reste de la route, et nous pûmes apercevoir, au bout du Couesnon canalisé, que longeait notre voiture, la pittoresque silhouette du mont Saint-Michel.

La mer en ce moment était basse ; à perte de vue s’étendaient les lises ou plages de sable d’un ton cendré, et il fallait prolonger le regard jusqu’au bord extrême de l’horizon, à la ligne de rencontre du ciel, pour découvrir une mince barre verdâtre témoignant de la présence de l’Océan. Une brume légère estompait les côtes lointaines de la baie, et le mont Saint-Michel s’élevait