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neige recouvrait, comme un blanc suaire, les épaules de la Guadarrama. À présent, c’est bien changé, et nous menons une joyeuse vie pour des saints de pierre ; nous sommes presque aussi heureux que l’obélisque de Louqsor sur la place de la Concorde à Paris. Nous voyons du monde tous les jours, et, le dimanche, il y a grande réception. Au lieu de vieux moines râpant leurs sandales sur le rêche pavage des cours et des cloîtres, se hâtent allègrement des bourgeois en habit à la mode, curieux de tout voir. Parfois une jolie femme nous jette un coup d’œil en passant et nous trouve artistement sculptés. Elle s’étonne qu’étant si vieux, nous ayons les joues encore si roses ! C’est flatteur ! Elle ne sait pas que nous mettons une couche de fard. Ne va pas le dire, comme font ces maudits journalistes, qui racontent tout ce qu’on leur confie. Enfin, nous sommes contents, et nous adoptons les idées nouvelles. Vive la vapeur ! Vive le télégraphe électrique ! Vive le ferro carril ! »

Si l’on trouve ce discours un peu long, qu’on veuille bien réfléchir que les statues n’ont pas beaucoup d’occasions de parler. Ils sont rares, ceux qui entendent la langue marmoréenne ou granitique et qui savent le dialecte du bronze. Les chose sont leurs larmes, dit Virgile ; elles ont aussi leurs voix, il s’agit de les écouter. Nous avons