Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/296

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rangé l’Escorial et prétendu qu’il était plus amusant de vivre dans le puits qui s’enfonce sous la grande pyramide d’Égypte que d’habiter le palais de Philippe II, aimable composé de la prison, du monastère et de la nécropole. Tu as dit cela et bien d’autres choses encore assez irrévérencieuses pour un monument que l’orgueil espagnol considère comme une des sept merveilles du monde ; mais nous ne t’en voulons pas. Nous-mêmes, nous n’y pouvons plus tenir, et cependant nous ne sommes pas des cerveaux éventés, des caractères mondains et folâtres.

« Quand on a pour position d’être des colosses en pierre beroqueña avec des têtes et des mains de marbre, et de représenter, au portail d’une église, les prophètes de l’Ancien Testament, on sait bien qu’on ne peut pas fumer, lire les journaux et aller le soir au théâtre ou à la tertulia ; on accepte une certaine mélancolie solennelle. Mais avoir toujours devant les yeux ce mur implacablement gris, c’est un supplice plus intolérable que celui des damnés qui regardent le cadran sans heures de l’enfer. Il n’y avait pas moyen d’y résister, même avec un tempérament de granit, surtout l’hiver, quand étaient parties les hirondelles, qui, au moins, nous chuchotaient quelques mots aux oreilles, et que la