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sourire d’incrédulité ironique, tant un pareil accouplement de mots nous eût paru bizarre. Escorial et plaisir sont des termes qui ne semblent pas pouvoir se rapprocher, et cependant la chose existe, et nous voilà installé avec nos camarades dans un convoi aux nombreux wagons remplis d’une foule joyeuse. Autrefois, nous avions accompli assez péniblement ce voyage, qui, disait-on, offrait alors quelque danger, au moyen d’un coche délabré remontant au moins au règne de Philippe IV et traîné par six mules osseuses rasées jusqu’à mi-corps. Nous avancions lentement sous un soleil torride, dont l’aveuglante lumière brûlait cette plaine onduleuse et mamelonnée de roches bleuâtres qui s’étend de Madrid à la Guadarrama. Des cigales, cachées sous l’herbe sèche poussée entre les pierres, froissaient leurs cymbales avec fureur et faisaient une musique enragée, servant de basse aux tintements clairs des grelots. On voyait au-dessus de terre danser l’acide carbonique dans le tremblement lumineux de la chaleur L’intérieur du berlingot atteignait la température d’un bain more ; une sueur abondante perlait sur votre visage vainement essuyé et ventilé par un éventail rapporté de la course de taureaux. Après vingt-quatre ans, nous nous rappelons encore la délicieuse sensation