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qui nous conduisit au bout de la ville, dans une maison inhabitée, à laquelle l’isolement, le silence et la nuit prêtaient bien gratuitement une apparence sinistre. On eût dit la Maison déserte des contes d’Hoffmann.

Une grande chambre démeublée au rez-de-chaussée, dont on ouvrit la porte avec peine, contenait deux lits. On nous laissa là, en compagnie d’un bout de chandelle, en nous disant qu’il y avait un beau jardin pour nous promener si la fantaisie nous en prenait. Vu l’heure et la situation, ce discours nous parut profondément ironique.

Nous devons à la vérité de dire que notre lit ne s’engloutit dans aucune trappe, que nul spectre ne vint moucher notre lumière de ses doigts osseux, et que pas le moindre bandit, à chapeau pointu et à plume de coq, ne nous enleva notre bourse. — Le jardin, rempli de fleurs, éclairé par le soleil levant, étincelait sous la rosée, et nous en parcourûmes avec plaisir les allées, où nul piége à loup ne nous prit la patte. La maison lugubre était un ancien magasin à sel en train de devenir une hôtellerie.

Les légendes de Carentan, qui ne sont pas toutes à l’honneur des aubergistes, ont conservé la mémoire d’un fameux déjeuner de Junot, duc d’Abrantès, compté