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III


Ces immenses mouvements de population que le chemin de fer rend possibles, prennent au dépourvu la civilisation telle qu’elle est installée. Il faut à ces multitudes affamées que les convois déversent sur le débarcadère des noces de Gamache, des festins de Gargantua ; nulle table d’hôte n’est assez longue, nul buffet suffisant. Mille mains se tendent vers le même plat, on arrache les bouteilles aux sommeliers ahuris, une chaîne de marmitons se transmettent les victuailles interceptées au passage. Antiques restaurateurs qui écriviez fastueusement sur vos enseignes : « Salon de cent couverts, » vous êtes dépassés ! Bâtissez pour l’avenir d’interminables galeries, faites raboter de nombreuses rallonges, monopolisez toute l’argenterie de Ruolz et Elkington ; cela ne sera pas assez encore !

À Carentan, aux alentours de la station, étaient dressées des cuisines-tentes ; devant des foyers improvisés tournaient des broches chargées de viandes, et, comme dans l’Iliade, la grasse fumée des victimes montait