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et se croise les bras, défiant le monstre stupéfié de tant d’audace. Comme si ce n’était pas assez, il retourne la chaise et présente le dos aux cornes, épiant à peine d’un coup d’œil par-dessus l’épaule les mouvements de la bête. Quand il se lève et s’en va, on peut juger du sort qui attendait l’homme, à l’état de la chaise aussitôt mise en pièces.

Cette prouesse nous a rappelé une des planches de la Tauromachie de Goya, où l’on voit Pedro Romero, une des gloires de l’ancien cirque, tuer le taureau, assis, les fers aux pieds, et n’ayant pour muleta que son chapeau. El Gordito est aussi une très-bonne lame ; ses coups ont de la certitude et de la régularité.

Mendivil, l’autre espada, nous a frappé par une bizarrerie dont nous ne connaissons pas d’exemple ; il se servait d’une muleta verte, malgré la propriété qu’on attribue au rouge d’irriter les bœufs et les taureaux.

Somme toute, la course fut ce que les Espagnols appellent regular. Les hommes et les taureaux firent bravement leur devoir, sauf une bête pacifique qui fit réclamer les banderilles d’artifice (banderillas de fuego) qu’on n’accorda pas, avec des vociférations, des trépignements et un tapage dont on n’a pas l’idée. Quelques-uns des plus enragés mettaient le feu à leurs