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admirable. Des groupes de maisons se détachaient çà et là, et le regard plongeait dans des villages rapidement entrevus. Bientôt la nuit vint ; au jour doré succéda un jour bleu ; car il y avait clair de lune, et de larges nappes d’argent s’étendaient sur les prairies comme les voiles de Diane qu’on aurait mis sécher. Les arbres se glaçaient d’azur et de violet et projetaient des ombres nettes comme celles que produit la lumière électrique.

Le chemin montait sensiblement, et la machine, pour entraîner le convoi, semblait donner de grands coups de collier : on attela une locomotive de renfort et l’on continua à gravir des pentes qu’on aurait jugées autrefois impossibles. Seulement, les remblais devenaient de plus en plus hauts, les tranchées de plus en plus profondes, et le train s’engloutissait à espaces de moins en moins éloignés dans la gueule noire des tunnels, traversant, comme un nageur une vague qu’il ne peut surmonter, une ondulation de montagne. C’était vraiment fantastique à ce clair de lune coupé de lumières vives et de brusques ombres.

Un de nos compagnons de voyage avait rencontré à un temps d’arrêt un ingénieur de la ligne, ancien ami de collége, qui nous fît une proposition bien séduisante,