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trouble et jaune, ne couvrant guère que la moitié de son lit, dont le fond vaseux, constellé de gravats, de tessons et de détritus de toute espèce, apparaissait par places. La magie de ces noms italiens, qu’on voit enchâssés dans les vers des poëtes, est telle, que ces syllabes sonores éveillent toujours dans l’esprit une idée différente de l’aspect que présente la réalité. On se figure, malgré soi, l’Arno comme un fleuve à l’eau limpide, aux bords fleuris et verdoyants, vers lequel descendent les escaliers de marbre des terrasses, et que sillonnent, le soir, des barques étoilées de falots, laissant tremper au courant des tapis de Turquie, abritant sous leur tendelet de soie des couples d’amoureux fous,

Et des musiciens qui font rage sur l’eau.

La vérité est que l’Arno mérite plutôt le nom de torrent que celui de fleuve : il coule d’une façon intermittente, selon le caprice des pluies et des sécheresses, tantôt à sec, tantôt débordant, et dans Florence ressemble plutôt à la Seine entre le pont de l’Hôtel-Dieu et le pont Neuf qu’à tout autre chose.

Quelques musiciens pêcheurs, dans l’eau jusqu’aux jarrets, animaient seuls le fleuve, qui, à cause de l’instabilité de son étiage, ne peut porter que des bachots plats, chose d’autant plus fâcheuse que la mer est toute