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les juifs avec les juifs, les retirate (femmes sur le retour) avec les retirate, les fringantes (femmes à la mode) avec les fringantes, ainsi de suite ; car, à Venise, les classes ne se confondent pas. Tout ce monde attend le jour pour rentrer chez soi et se coucher. Les Italiens n’ont pas le sentiment du foyer ; ils ne comprennent pas le bonheur de la maison ; ils vivent entièrement dehors.

Les anciens nobles végètent obscurément dans quelque coin de leur palais, sous les combles, mangeant du macaroni au fromage avec leurs valets, à demi vêtus de guenilles pour ménager leurs habits neufs, ne lisant pas, ne s’occupant de rien. Chaque femme, comme dans tout le reste de l’Italie, à son cicisbeo ou patito qui l’accompagne à la messe, à l’Opéra, au casino ; cela au vu et au su de son mari, qui ne s’en inquiète pas le moins du monde, et sert souvent de médiateur dans les querelles qui surviennent entre eux. Parlez-nous après cela de la jalousie italienne ! Lire, écrire tant bien que mal, faire un peu de musique, voilà à quoi se réduit l’éducation des femmes. Peu vives et peu spirituelles, elles n’ont aucune ressource pour la conversation. Le sigisbéisme n’est pas aussi immoral au fond qu’il le paraît d’abord : c’est une espèce de mariage de cœur auquel elles sont ordinai-