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chitecture groupées au pied du Campanile. Du reste, ce tableau est muet ; cette rumeur sourde, ce vagissement d’une grande ville, qu’on entend des tours de Notre-Dame ou du dôme de Saint-Paul, ne frappent pas votre oreille : aucun bruit ne se fait entendre ; Venise, en plein jour, est plus silencieuse que les autres capitales dans la nuit. Cela tient à l’absence des chevaux et des voitures. Un cheval est un phénomène à Venise. Aussi, Byron et ses chevaux, qu’il domptait au Lido, étaient-ils pour les Vénitiens un grand sujet d’étonnement.

Mais voici le revers de la médaille. Venise est une ville admirable comme musée et comme panorama, et non autrement. Il faut la voir à vol d’oiseau. L’humidité y est extrême ; une odeur fade, dans les chaudes journées d’été, s’élève des lagunes et des vases ; tout y est d’une malpropreté infecte. Ces beaux palais de marbre et d’or, que nous venons de décrire, sont salis par le bas d’une étrange manière ; l’antique Bucentaure lui-même, que les Français ont brûlé pour en avoir la dorure, n’était pas, s’il en faut croire les historiens, plus à l’abri de ces dégoûtantes profanations que les autres édifices publics, malgré les croix et les rispetto dont ils sont couverts. À ces palais s’accrochent comme un pauvre au manteau d’un riche, d’i-