Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poulet à la chasseur très-passablement sauté, le tout arrosé d’un excellent vin du Rhin qui vaut presque le haut-barsac. Les marmitons ont remplacé les lansquenets dans le vieux burg ; la salle des gardes est devenue une cuisine, et des cabinets particuliers occupent les chambres rondes des tours, éclairés par les embrasures des mangonneaux. Il n’y a pas que des corbeaux, des orfraies et des chouettes dans le manoir démantelé des margraves.

Une bonne route, bien sablée, praticable malgré la roideur de ses pentes, gravit la montagne à travers une forêt de pins gigantesques et de chênes plusieurs fois centenaires. Les petits chevaux badois l’escaladent avec une agilité de chèvre, en une demi-heure ou trois quarts d’heure au plus, et vous déposent à quelques pas du château.

Comme tous les burgs du Rhin, Eberstein est une ruine très-avancée. On voit que le temps n’y a pas travaillé seul. Le temps, que l’on qualifie de grand destructeur, l’est bien moins que l’homme. Il ne va pas si vite en besogne, et il ne dévaste pas d’une façon si complète. Les restes d’Eberstein, qui témoignent une grande existence féodale disparue et couvrent un large espace de terrain dans une position presque inaccessible,