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Qu’on nous pardonne de remplacer quelques lignes de prose par ces vers assez anciens pour paraître nouveaux. Depuis ce premier voyage, que de blessures nous ont faites les Heures cruelles ! que de tristesses et d’agonies elles ont sonnées pour nous ! — et pour les autres, hélas ! car, en ce monde, on ne possède même pas l’originalité de sa douleur ; voir disparaître les chers cercueils sous la terre brune, enfouir soi-même les têtes aimées, pleurer ses espérances à jamais perdues, sentir diminuer jour par jour le trésor de sa jeunesse, cela est tout simple et tout naturel.

Le cimetière de l’église d’Urrugne ne ressemble à aucun autre. On dirait le champ de repos d’une race disparue. Les tombes en pierre grisâtre affectent des formes étranges, celtiques, phéniciennes, Scandinaves, et d’un archaïsme qui fait remonter à l’imagination le courant des âges ; tantôt ce sont des dalles élargies au sommet et qui figurent vaguement les épaules du mort, comme des boîtes de momie, tantôt des disques à piédouche fichés en terre comme les pieux de marbre terminés en turban des cimetières turcs, et où la croix grossièrement gravée s’inscrit dans un cercle. — Vous écartez les herbes qui entourent ces tombes, dont vous essayez de déchiffrer les inscriptions sculptées