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tombait de travers sur ses épaules, mais cela même lui donnait un air d’ancienneté pittoresque et de pieuse gravité. On eût dit un diacre des vieux tableaux chrétiens[1]. »

Voilà qui est du Charlet, n’est-il pas vrai ? et même qui va quelquefois plus loin. Mais attendez, voici maintenant la note attendrissante, chrétienne, charmante. « Et, tournant doucement la tête, j’entrevis parmi ces visages hâlés, sous l’ombre du dais rustique, le Saint Sacrement étincelant dans les mains du prêtre. — Oui, oui, je le reconnais, c’est bien lui ; c’est celui qui entrait jadis en vainqueur à Jérusalem, monté sur une ânesse ; et c’est vous, mon divin maître, qui marchez aujourd’hui au milieu de ces braves gens, sur ce chemin champêtre qu’ils ont jonché de fleurs. Je vous reconnais à ce trait, ô mon Sauveur. Quel autre voudrait de ces triomphes misérables, et quel autre les aurait ennoblis de tant d’éclat divin ? En un certain endroit, une basse-cour laissait entre deux masures un vide trop étendu, qu’on n’avait pu masquer de toiles et de guirlandes : on y voyait à découvert un amas de fumier, une mare desséchée et tout le dénûment de la misère villageoise ; mais ce spectacle augmenta pour moi le charme attendrissant de la cérémonie. Ô mon Dieu, s’il m’était permis d’emprunter des traits mortels pour rendre mes faibles imaginations, quels doux regards, quel radieux sourire vous avez dû laisser tomber en passant sur cette pauvreté si mal déguisée ! Mais quoi ! mon Seigneur n’est-il pas né dans l’étable de Bethléem[2] ? »

C’est ainsi qu’Ourliac atteint parfois le point culminant de l’art, sans effort pénible et avec tout le naturel d’un

  1. Les Contes de la famille, p. 173-174.
  2. Ibid., p. 175, 176.