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Je promène avec moi les dépouilles glacées
De mes illusions, charmantes trépassées
        Dont je suis le linceul.

Je suis trop jeune encor, je veux aimer et vivre,
O mort… et je ne puis me résoudre à te suivre
        Dans le sombre chemin ;
Je n’ai pas eu le temps de bâtir la colonne
Où la gloire viendra suspendre ma couronne ;
        O mort, reviens demain !

Vierge aux beaux seins d’albâtre, épargne ton poëte,
Souviens-toi que c’est moi qui le premier t’ai faite
        Plus belle que le jour ;
J’ai changé ton teint vert en pâleur diaphane,
Sous de beaux cheveux noirs j’ai caché ton vieux crâne,
        Et je t’ai fait la cour.

Laisse-moi vivre encor, je dirai tes louanges,
Pour orner tes palais, je sculpterai des anges,
        Je forgerai des croix ;
Je ferai dans l’église et dans le cimetière
Fondre le marbre en pleurs et se plaindre la pierre
        Comme au tombeau des rois !

Je te consacrerai mes chansons les plus belles :
Pour toi j’aurai toujours des bouquets d’immortelles
        Et des fleurs sans parfum.
J’ai planté mon jardin, ô mort, avec tes arbres ;
L’if, le buis, le cyprès y croisent sur les marbres
        Leurs rameaux d’un vert brun.

J’ai dit aux belles fleurs, doux honneur du parterre,
Au lis majestueux ouvrant son blanc cratère,
        A la tulipe d’or,