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Faible comme ces voix que l’on entend en rêve,
Triste comme un soupir des vagues sur la grève
        J’entendis une voix.
Or, comme ce jour-là j’avais vu tant de choses,
Tant d’effets merveilleux dont j’ignorais les causes,
        J’eus moins peur cette fois.


RAPHAEL.

Je suis le Raphaël, le Sanzio, le grand maître !
O frère, dis-le-moi, peux-tu me reconnaître
        Dans ce crâne hideux ?
Car je n’ai rien parmi ces plâtres et ces masques,
Tous ces crânes luisants, polis comme des casques,
        Qui me distingue d’eux.

Et pourtant c’est bien moi ! Moi, le divin jeune homme,
Le roi de la beauté, la lumière de Rome,
        Le Raphaël d’Urbin !
L’enfant aux cheveux bruns qu’on voit aux galeries,
Mollement accoudé, suivre ses rêveries,
        La tête dans sa main.

O ma Fornarina ! ma blanche bien aimée,
Toi qui dans un baiser pris mon âme pâmée
        Pour la remettre au ciel ;
Voilà donc ton amant, le beau peintre au nom d’ange,
Cette tête qui fait une grimace étrange :
        Eh bien, c’est Raphaël !

Si ton ombre endormie au fond de la chapelle
S’éveillait et venait à ma voix qui t’appelle,
        Oh ! je te ferais peur !
Que le marbre entr’ouvert sur ta tête retombe.
Ne viens pas ! ne viens pas et garde dans ta tombe
        Le rêve de ton cœur.