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bien violemment de don Andrès ; la passion n’était pas dans sa nature et lui eût paru une chose inconvenante : mais elle avait l’habitude de le voir et, à titre de future épouse, le regardait déjà comme sa propriété. Elle alla vingt fois du piano au balcon, et contrairement à la mode anglaise, qui ne veut pas qu’une femme regarde par la fenêtre, elle se pencha dans la rue pour voir si don Andrès n’arrivait pas.

« Je le verrai sans doute au Prado ce soir, se dit Feliciana par manière de consolation, et je lui ferai une verte semonce. »

Le Prado, à sept heures du soir, en été, est assurément une des plus belles promenades du monde : non qu’on ne puisse trouver ailleurs des ombrages plus frais, un site plus pittoresque, mais nulle part il n’existe une animation plus vive, un mouvement plus gai de la population.

Le Prado s’étend de la porte des Récollets à la porte d’Atocha, mais il n’est guère fréquenté que dans la portion comprise entre la rue d’Alcala et la rue de San-Geronimo. Cet endroit s’appelle le Salon, nom assez peu champêtre pour une promenade. Des rangées d’arbres trapus, qu’on écime pour forcer le feuillage à s’étendre, versent une ombre avare sur les promeneurs.

La chaussée réservée aux voitures est bordée de chaises comme le boulevard de Gand, et de candélabres