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Le soir était venu, et Juancho, revêtu de ses habits modernes qui le rendaient méconnaissable, parcourait d’un pas saccadé et fiévreux les avenues du Prado, regardant chaque homme au visage, allant, venant, tâchant d’être partout à la fois ; il entra dans tous les théâtres, fouilla de son œil d’aigle l’orchestre, les avant-scènes et les loges ; il avala toutes sortes de glaces dans les cafés, se mêla à tous les groupes de politiqueurs et de poètes dissertant sur la pièce nouvelle, sans pouvoir découvrir rien qui ressemblât à ce jeune homme qui parlait d’un air si tendre à Militona le jour des taureaux, par l’excellente raison qu’Andrès, qui était allé se costumer chez le marchand, prenait le plus posément du monde, à cette heure-là, un verre de limonade glacée dans une orchateria de chufas (boutique d’orgeat), située presque vis-à-vis la maison de Militona, où il avait établi son quartier d’observation, avec Perico pour éclaireur. Au reste, Juancho aurait passé devant lui sans le regarder ; l’idée ne lui serait pas venue d’aller chercher son rival sous la veste ronde et le sombrero de calaña d’un manolo. Militona, cachée dans l’angle de la fenêtre, ne s’y était pas trompée une minute ; mais l’amour est plus clairvoyant que la haine. En proie à la plus vive anxiété, elle se demandait quels étaient les projets du jeune homme en s’établissant ainsi dans cette boutique, et redoutait la scène terrible