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elle ajustait les différentes pièces d’un corsage de robe étalées sous ses yeux. Quoiqu’elle ne fît rien de mystérieux, le verrou de sa porte était poussé, sans doute dans la crainte de quelque invasion subite de Juancho, que l’absence de la tia Aldonza aurait rendue plus dangereuse.

Tout en travaillant, elle pensait au jeune homme qui la regardait, la veille, au Cirque, avec un œil si ardent et si velouté, et lui avait dit quelques mots d’une voix qui résonnait encore doucement à son oreille.

« Pourvu qu’il ne cherche pas à me revoir ! Et pourtant cela me ferait plaisir qu’il le cherchât. Juancho engagerait avec lui quelque affreuse querelle, il le tuerait peut-être ou le blesserait dangereusement comme tous ceux qui ont voulu me plaire ; et même, quand je pourrais me soustraire à la tyrannie de Juancho, qui m’a suivie de Grenade à Séville, de Séville à Madrid, et qui me poursuivrait jusqu’au bout du monde pour m’empêcher de donner à un autre le cœur que je lui refuse, à quoi cela m’avancerait-il ? Ce jeune homme n’est pas de ma classe ; à ses habits l’on voit qu’il est noble et riche ; il ne peut avoir pour moi qu’un caprice passager : il m’a déjà oubliée sans doute. »

Ici la vérité nous oblige à confesser qu’un léger nuage passa sur le front de la jeune fille, et qu’une respiration