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les règles, et que le grand Montès de Chiclana lui-même n’eût pas désavouée.

L’épée plantée au défaut de l’épaule s’élevait avec sa poignée en croix entre les cornes du taureau et rappelait ces gravures gothiques où l’on voit saint Hubert à genoux devant un cerf portant un crucifix dans ses ramures.

L’animal s’agenouilla pesamment devant Juancho, comme rendant hommage à sa supériorité, et après une courte convulsion roula les quatre sabots en l’air.

« Juancho a pris une brillante revanche ! Quelle belle estocade ! je l’aime mieux qu’Arjona et le Chiclanero ; qu’en pensez-vous, señorita ? dit Andrès tout à fait enthousiasmé à sa voisine.

— Pour Dieu, monsieur, ne m’adressez plus un mot », répondit Militona très vite, sans presque remuer les lèvres et sans détourner la tête.

Ces paroles étaient dites d’un ton si impératif et si suppliant à la fois, qu’Andrès vit bien que ce n’était pas le « finissez » d’une fillette qui meurt d’envie que l’on continue.

Ce n’était pas la pudeur de la jeune fille qui lui dictait ces paroles ; les essais de conversation d’Andrès n’avaient rien qui méritât une telle rigueur, et les manolas, qui sont les grisettes de Madrid, sans vouloir en médire, ne sont pas, en général, d’une susceptibilité si farouche.