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tervalle qui séparait la bête de l’homme diminuait affreusement.

« En voilà un gaillard qui ne s’alarme pas ! dirent quelques-uns, plus robustes aux émotions.

— Juancho, prends garde, disaient les autres, plus humains ; Juancho de ma vie, Juancho de mon cœur, Juancho de mon âme, le taureau est presque sur toi ! »

Quant à Militona, soit que l’habitude des courses eût émoussé sa sensibilité, soit qu’elle eût toute confiance dans l’habileté souveraine de Juancho ou qu’elle portât un intérêt médiocre à celui qu’elle troublait si profondément, sa figure resta calme et sereine comme s’il ne se fût rien passé ; seulement une légère rougeur monta à ses pommettes, et son sein souleva d’un mouvement un peu plus rapide les dentelles de sa mantille.

Les cris des assistants tirèrent Juancho de sa torpeur ; il fit une brusque retraite de corps et agita les plis écarlates de sa muleta devant les yeux du taureau.

L’instinct de la conservation, l’amour-propre du gladiateur luttaient dans l’âme de Juancho avec le désir d’observer ce que faisait Militona ; un coup d’œil égaré, un oubli d’une seconde pouvaient mettre sa vie en péril dans ce moment suprême. Situation infernale ! être jaloux, voir auprès de la femme aimée un jeune homme attentif et char-