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accent plus sauvage, la même grâce, mais plus cruelle ; les sourcils dessinaient leur arc d’ébène sur le marbre doré du front d’un coup de pinceau si hardi, les prunelles étaient d’un noir si âprement noir, une pourpre si riche éclatait dans la pulpe des lèvres, qu’une pareille beauté eût eu quelque chose d’alarmant dans un salon de Paris ou de Londres ; mais elle était parfaitement à sa place à la course de taureaux, sous le ciel ardent de l’Espagne.

La vieille, qui ne donnait pas aux péripéties de l’arène la même attention que la jeune, observait le manège d’Andrès avec un regard oblique et un air de dogue flairant un voleur. Joyeuse, cette physionomie était laide ; refrognée, elle était repoussante ; ses rides semblaient plus creuses, et l’auréole brune qui cernait ses yeux s’agrandissait et rappelait vaguement les cercles de plume qui entourent les prunelles des chouettes ; sa dent de sanglier s’appuyait plus fortement sur sa lèvre calleuse, et des tics nerveux contractaient sa face grimaçante.

Comme Andrès persistait dans sa contemplation, la colère sourde de la vieille augmentait d’instant en instant ; elle se tracassait sur son banc, faisait siffler son éventail, donnait de fréquents coups de coude à sa belle voisine, et lui adressait toutes sortes de questions pour l’obliger à tourner la tête