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n’avait d’ailleurs aucune raison de croire que la jeune fille l’eût aperçu et eût remarqué son admiration. Ses yeux, fixés sur l’arène, ne s’étaient pas détournés un instant du spectacle, auquel elle paraissait prendre un intérêt exclusif.

C’était donc un incident qu’il eût dû oublier sur le seuil du lieu qui l’avait vu naître. Cependant, à plusieurs reprises, l’image de la jeune fille s’était retracée dans l’esprit d’Andrès avec plus de vivacité et de persistance qu’il ne l’aurait fallu.

Le soir, sans en avoir la conscience, sans doute, il prolongeait sa promenade, ordinairement bornée au salon du Prado, où s’étale sur des rangs de chaises la fashion de Madrid, au-delà de la fontaine d’Alcachofa, sous les allées plus ombreuses fréquentées par les manolas de la place de Lavapiès. Un vague espoir de retrouver son inconnue le faisait déroger à ses habitudes élégantes.

De plus, il s’était aperçu, symptôme significatif, que les cheveux blonds de Feliciana prenaient, à contre-jour, des teintes hasardeuses, atténuées à grand-peine par les cosmétiques (jamais jusqu’à ce jour il n’avait fait cette remarque), et que ses yeux, bordés de cils pâles, n’avaient aucune expression, si ce n’est celle de l’ennui modeste qui sied à une jeune personne bien élevée ; et il bâillait involontairement en pensant aux douceurs que lui réservait l’hymen.