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— Je crains que Juancho ne fasse quelque extravagance, ne se laisse aller à quelque acte de fureur.

— Tu as toujours ce méchant coup de navaja sur le cœur. Si tu savais le latin, et heureusement tu l’ignores, je te dirais que cela ne peut arriver, d’après la loi, non bis in idem. D’ailleurs, ce brave garçon a dû avoir le temps de se calmer. »

Juancho fit des prodiges ; il agissait comme s’il eût été invulnérable à la façon d’Achille ou de Roland ; il prenait les taureaux par la queue et les faisait valser ; il leur posait le pied entre les cornes et les franchissait d’un saut ; il leur arrachait les devises, se plantait droit devant eux, et se livrait avec une audace sans exemple aux plus dangereux manèges de cape.

Le peuple enthousiasmé applaudissait avec frénésie et disait qu’on n’avait jamais vu course pareille depuis le Cid Campeador.

La quadrille des toreros, électrisés par l’exemple, semblait ne plus connaître aucun péril. Les picadores s’avançaient jusqu’au milieu de la place ; les banderilleros posaient leurs flèches entourées de découpures de papier, sans en manquer une. Juancho secondait tout le monde à temps, savait distraire la bête farouche et l’attirer sur lui. Le pied avait glissé à un chulo, et le taureau allait lui ouvrir le ventre, si Juancho ne l’avait fait reculer au péril de sa vie.