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femme qu’il aimait, une femme supérieure à la première.

Au lieu du désenchantement de la possession, il trouvait chaque jour en Mme de Salcedo une qualité nouvelle, un charme inconnu, et s’applaudissait d’avoir eu le courage de faire ce que le monde appelle une sottise, c’est-à-dire d’épouser, étant riche, une jeune fille sage, admirablement belle et passionnément amoureuse de lui.

Ne devrait-ce pas être pour les gens qui ont de la fortune une espèce de devoir de retirer de l’ombre et de la misère les belles filles vertueuses, les reines de beauté sans royaume, et de les faire monter sur le trône d’or qui leur est dû ?

Rien ne manquait à la félicité d’Andrès et de Militona. Seulement elle pensait quelquefois au pauvre Juancho, dont personne n’avait plus entendu parler ; elle aurait bien voulu que son bonheur ne fît le désespoir de personne, et l’idée des souffrances éprouvées par ce malheureux la troublait au milieu de sa joie : « Il m’aura sans doute oubliée, se disait-elle comme pour s’étourdir ; il sera allé dans quelque pays étranger, loin, bien loin. »

Juancho avait-il, en effet, oublié Militona ? La chose est douteuse. Il n’était pas si loin que le pensait la jeune femme ; car, au moment où elle s’abandonnait à cette pensée, si elle eût regardé à la crête du mur, du côté du précipice, elle eût vu, à