Page:Gautier - Militona, Hachette, 1860.djvu/154

Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’il eût versées, tombaient de ses joues brunes sur la terre indifférente, qui les buvait comme de simples gouttes de pluie. Sa robuste poitrine, gonflée par des soupirs profonds, soulevait son corps. Jamais il n’avait été si malheureux ; le monde lui semblait près de finir ; il ne voyait plus de but à la création et à la vie. Qu’allait-il faire désormais ?

« Elle ne m’aime pas, elle en aime un autre, se répétait Juancho, pour se démontrer cette vérité fatale que son cœur refusait d’admettre. Est-ce possible ? est-ce croyable ? Elle si fière, si sauvage, avoir pris tout à coup une passion pour un inconnu, tandis que moi, qui ne vivais que pour elle, qui la suivais depuis deux ans comme son ombre, je n’ai pu obtenir un mot de pitié, un sourire indulgent ! Je me trouvais à plaindre alors, mais c’était le paradis à côté de ce que je souffre aujourd’hui. Si elle ne m’aimait pas, au moins elle n’aimait personne.

« Je pouvais la voir ; elle me disait de m’en aller, de ne plus revenir, que je l’ennuyais, que je la fatiguais, que je l’obsédais, qu’elle ne pouvait souffrir plus longtemps ma tyrannie ; mais au moins, quand je m’en allais, elle restait seule ; la nuit, j’errais sous sa fenêtre, fou d’amour, ivre de désirs ; je savais qu’elle reposait chastement sur son petit lit virginal ; je n’avais pas la crainte de voir deux ombres sur