Page:Gautier - Militona, Hachette, 1860.djvu/144

Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’il trouvait ce qu’elle était réellement : le produit artificiel d’une maîtresse de pension et d’une marchande de modes.

Militona se disait à elle-même

« C’est singulier ! moi qui n’ai jamais haï personne, dès le premier pas que cette femme a fait dans cette chambre, j’ai senti un tressaillement comme à l’approche d’un ennemi inconnu. Qu’ai-je à craindre ? Andrès ne l’aime pas, j’en suis sûre ; je l’ai bien vu à ses yeux. Elle n’est pas jolie, et c’est une sotte ; autrement serait-elle venue ainsi attifée voir un malade dans une pauvre maison ? Une robe bleu de ciel et un mantelet vert-pomme, quel manque de sensibilité ! Je la déteste, cette grande perche... Que vient-elle faire ici ? Repêcher son novio ; car c’est sans doute quelque fiancée. Andrès ne m’avait pas parlé de cela... Oh ! s’il l’épousait, je serais bien malheureuse ! Mais il ne l’épousera pas ; c’est impossible. Elle a de vilains cheveux blonds et des taches de rousseur, et Andrès m’a dit qu’il n’aimait que les cheveux noirs et les teints d’une pâleur unie. »

Pendant ce monologue, Feliciana en faisait un autre de son côté. Elle analysait la beauté de Militona avec le violent désir de la trouver en défaut sur quelque point. A son grand regret, elle n’y trouva rien à redire. Les femmes, comme les poètes, s’apprécient à leur juste valeur et connaissent