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jolie raie blanche marquait au-dessus de sa lèvre rouge la hauteur atteinte par le lait.

« À propos, dit-elle, vous allez m’expliquer, maintenant que vous pouvez parler, pourquoi vous, que j’ai rencontré à la place des Taureaux, pincé dans une jolie redingote, habillé à la dernière mode de Paris, je vous ai retrouvé devant ma porte vêtu en manolo. Quand étiez-vous déguisé ? Ici ou là-bas ? Bien que je n’aie pas grand usage du monde, je crois que la première forme sous laquelle je vous ai vu était la vraie. Vos petites mains blanches qui n’ont jamais travaillé le prouveraient.

— Vous avez raison, Militona ; le désir de vous revoir et la crainte d’attirer sur vous quelque danger, m’avaient fait prendre cette veste, cette ceinture et ce chapeau ; mes vêtements habituels auraient trop vite appelé l’attention sur moi dans ce quartier. Avec les autres, je n’étais qu’une ombre dans la foule, où nul ne pouvait me reconnaître que l’œil de la jalousie.

— Et celui de l’amour, reprit Militona en rougissant. Votre travestissement ne m’a pas trompée une minute : j’aurais cru que la phrase que je vous avais dite au Cirque vous aurait arrêté ; je le désirais, car je prévoyais ce qui n’a pas manqué d’arriver, et pourtant j’eusse été fâchée d’être trop bien obéie.