Page:Gautier - Militona, Hachette, 1860.djvu/112

Cette page n’a pas encore été corrigée

il était certain de l’avoir vu tomber. Son adversaire s’était-il relevé et traîné plus loin dans les convulsions de l’agonie ? avait-il été ramassé par les serenos ? C’est ce qu’il ne pouvait savoir. Devait-il, lui Juancho, rester ou s’enfuir ? Sa fuite le dénoncerait, et d’ailleurs l’idée de s’éloigner de Militona, de la laisser libre d’agir à son caprice, était insupportable à sa jalousie. La nuit était obscure, la rue déserte, personne ne l’avait vu. Qui pourrait l’accuser ?

Cependant le combat avait duré assez longtemps pour que son adversaire le reconnût ; car les toreros, comme les acteurs, ont des figures notoires et, s’il n’était pas mort sur le coup, comme l’on pouvait le supposer, peut-être l’avait-il dénoncé. Juancho, qui était en délicatesse avec la police pour ses vivacités de couteau, courrait risque, s’il était pris, d’aller passer quelques étés dans les possessions espagnoles en Afrique, à Ceuta ou à Melilla.

Il s’en alla donc chez lui, fit sortir dans la cour son cheval de Cordoue, lui jeta une couverture bariolée sur le dos et partit au galop.

Si un peintre eût vu passer dans les rues ce robuste cavalier pressant des jambes ce grand cheval noir, à la crinière échevelée, à la queue flamboyante, qui arrachait des aigrettes d’étincelles au pavé inégal, et filait le long des murailles blanchâtres