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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

tu l’air que je devais avoir avec mon chapeau à plumes sous la patte, des bagues à toutes les griffes, une petite épée à garde d’argent et un ruban bleu de ciel à la poignée ? Je me suis approché de la belle ; et, après lui avoir fait la plus gracieuse révérence, je m’assis à côté d’elle et je l’assiégeai dans toutes les formes. Les madrigaux musqués, les galanteries exagérées que je lui adressais, tout le jargon de la circonstance prenait un relief singulier en passant par mon mufle d’ours ; car j’avais une superbe tête en carton peint que je fus bientôt obligé de jeter sous la table tellement ma déité était adorable ce soir-là et tant j’avais envie de lui baiser la main et mieux que la main. La peau suivit la tête à peu de distance ; car, n’ayant pas l’habitude d’être ours, j’y étouffais très-bien et plus qu’il n’était nécessaire. Alors la toilette de bal eut beau jeu, comme tu peux le croire ; les plumes tombaient comme une neige autour de ma beauté, les épaules sortirent bientôt des manches, les seins du corset, les pieds des souliers, et les jambes des bas : les colliers défilés roulèrent sur le plancher, et je crois que jamais robe plus fraîche n’a été plus impitoyablement fripée et chiffonnée ; la robe était de gaze d’argent, et la doublure de satin blanc. Rosette a déployé dans cette occasion un héroïsme tout à fait au-dessus de son sexe, et qui m’a donné d’elle la plus haute opinion. — Elle a assisté au sac de sa toilette comme un témoin désintéressé, et n’a pas montré un seul instant le moindre regret pour sa robe et ses dentelles ; elle était au contraire de la gaieté la plus folle, et aidait elle-même à déchirer et à rompre ce qui ne se dénouait pas ou ne se dégrafait pas assez vite à mon gré et au sien. — Ne trouves-tu pas cela d’un beau à consigner dans l’histoire à côté des plus éclatantes actions des héros de l’antiquité ? C’est la plus grande preuve d’a-