Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/93

Cette page a été validée par deux contributeurs.
87
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

changée ; et mille autres menues observations à quoi l’autre ne manquait pas de riposter avec toute la méchanceté désirable quand l’occasion s’en présentait ; et, si l’occasion tardait trop, elle s’en faisait elle-même une pour son usage, et rendait, et au delà, ce qu’on lui avait donné. Mais bientôt, un autre objet ayant détourné l’attention de l’infante dédaignée, cette petite guerre de mots cessa et tout rentra dans l’ordre habituel.

Je t’ai dit sommairement que j’étais l’amant en pied de la dame rose ; cela ne suffit pas pour un homme aussi ponctuel que tu l’es. Tu me demanderas sans doute comment elle s’appelle : quant à son nom, je ne te le dirai pas ; mais si tu veux, pour la facilité du récit, et en mémoire de la couleur de la robe avec laquelle je l’ai vue pour la première fois, — nous l’appellerons Rosette ; c’est un joli nom : ma petite chienne s’appelait comme cela.

Tu voudras savoir de point en point, car tu aimes la précision dans ces sortes de choses, l’histoire de nos amours avec cette belle Bradamante, et par quelles gradations successives j’ai passé du général au particulier, et de l’état de simple spectateur à celui d’acteur ; comment, de public que j’étais, je suis devenu amant. Je contenterai ton envie avec le plus grand plaisir. Il n’y a rien de sinistre dans notre roman ; il est couleur de rose, et l’on n’y verse d’autres larmes que celles du plaisir ; on n’y rencontre ni longueurs ni redites, et tout y marche vers la fin avec cette hâte et cette rapidité si recommandées par Horace ; — c’est un véritable roman français. — Toutefois ne va pas t’imaginer que j’ai emporté la place au premier assaut. — La princesse, quoique fort humaine pour ses sujets, n’est pas aussi prodigue de ses faveurs qu’on pourrait le croire