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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

et pourtant je t’avoue que leur possession ne me satisfait qu’à moitié : ce n’est pas qu’elles ne soient fort jolies, mais à leur vue rien n’a crié dans moi, rien n’a palpité, rien n’a dit : — C’est elles ; — je ne les ai pas reconnues. — Cependant je ne crois pas que je rencontrerai beaucoup mieux du côté de la naissance et de la beauté, et de C*** me conseille de m’en tenir là. Assurément je le ferai, et l’une ou l’autre sera ma maîtresse, ou le diable m’emportera avant qu’il soit bien longtemps ; mais au fond de mon cœur une secrète voix me reproche de mentir à mon amour, et de m’arrêter ainsi au premier sourire d’une femme que je n’aime point, au lieu de chercher infatigablement à travers le monde, dans les cloîtres et dans les mauvais lieux, dans les palais et dans les auberges, celle qui a été faite pour moi et que Dieu me destine, princesse ou servante, religieuse ou femme galante.

Puis je me dis que je me fais des chimères, qu’il est bien égal après tout que je couche avec cette femme ou avec une autre ; que la terre n’en déviera pas d’une ligne dans sa marche, et que les quatre saisons n’intervertiront pas leur ordre pour cela ; que rien au monde n’est plus indifférent, et que je suis bien bon de me tourmenter de pareilles billevesées : voilà ce que je me dis. — Mais j’ai beau dire, je n’en suis ni plus tranquille ni plus résolu.

Cela tient peut-être à ce que je vis beaucoup avec moi-même, et que les plus petits détails dans une vie aussi monotone que la mienne prennent une trop grande importance. Je m’écoute trop vivre et penser : j’entends le battement de mes artères, les pulsations de mon cœur ; je dégage, à force d’attention, mes idées les plus insaisissables de la vapeur trouble où elles flottaient et je leur donne un corps. — Si j’agissais davantage, je n’a-