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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

et ne donnant pas mauvaise idée du reste ; pour les cheveux, ils étaient extrêmement brillants et d’un noir bleu comme des ailes de geai ; — le coin de l’œil troussé assez haut vers la tempe, le nez mince et les narines fort ouvertes, la bouche humide et sensuelle, une petite raie à la lèvre inférieure, et un duvet presque imperceptible aux commissures. Et dans tout cela une vie, une animation, une santé, une force, et je ne sais quelle expression de luxe adroitement tempérée par la coquetterie et le manége, qui en faisaient en somme une très-désirable créature et justifiaient et au delà les goûts très-vifs qu’elle avait inspirés et qu’elle inspirait tous les jours.

Je la désirai ; — mais je compris néanmoins que ce ne serait pas cette femme, tout agréable qu’elle fût, qui réaliserait mon vœu et me ferait dire : — Enfin j’ai une maîtresse !

Je revins à de C***, et je lui dis : — La dame me plaît assez, et je m’arrangerai peut-être avec elle. Mais, avant de rien dire de précis et qui m’engage, je voudrais bien que tu eusses la bonté de me faire voir celles des indulgentes beautés qui ont eu l’obligeance de se frapper pour moi, afin que je puisse choisir. — Tu me ferais plaisir aussi, puisque tu me sers ici de démonstrateur, d’y ajouter une petite notice et la nomenclature de leurs défauts et qualités ; la manière dont il faut les attaquer et le ton qu’on doit employer avec elles pour que je n’aie pas trop l’air d’un provincial ou d’un littérateur.

— Je veux bien, dit de C***. — Vois-tu ce beau cygne mélancolique qui déploie son cou si harmonieusement et fait remuer ses manches comme des ailes ; c’est la modestie même, tout ce qu’il y a de plus chaste et de plus virginal au monde ; c’est un front de neige, un