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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

— Ah ! voilà ce que tu en penses ?

— Mais oui.

— Ta répugnance pour elle est donc tout à fait insurmontable ? — Tant pis ; il aurait été décent pour toi de l’avoir, ne fût-ce qu’un mois, cela est du bon air, et un jeune homme un peu bien ne peut être mis dans le monde que par elle.

— Eh bien ! je l’aurai, fis-je d’un air assez piteux, puisqu’il le faut ; mais cela est-il aussi nécessaire que tu as l’air de le croire ?

— Hélas, oui ! cela est du dernier indispensable, et je m’en vais t’en expliquer les raisons. Madame de Thémines est à la mode maintenant ; elle a tous les ridicules du jour d’une manière supérieure, quelquefois ceux de demain, mais jamais ceux d’hier : elle est parfaitement au courant. On portera ce qu’elle porte, et elle ne porte pas ce qu’on a porté. Elle est riche d’ailleurs, et ses équipages sont du meilleur goût. — Elle n’a pas d’esprit, mais beaucoup de jargon ; elle a des goûts fort vifs et peu de passion. On lui plaît, mais on ne la touche pas ; c’est un cœur froid et une tête libertine. Quant à son âme, si elle en a une, ce qui est douteux, elle est des plus noires, et il n’y a pas de méchancetés et de bassesses dont elle ne soit capable ; mais elle est extrêmement adroite et conserve les dehors, juste ce qu’il est nécessaire pour qu’on ne puisse rien prouver contre elle. Ainsi, elle couchera très-bien avec un homme et ne lui écrira pas le billet le plus simple. Aussi ses ennemis les plus intimes ne trouvent rien à dire sur elle, sinon qu’elle met son rouge trop haut, et que certaines portions de sa personne n’ont pas, en vérité, toute la rondeur qu’elles paraissent avoir, — ce qui est faux.

— Comment le sais-tu ?