Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/69

Cette page a été validée par deux contributeurs.
63
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Je commence à le croire, — je suis dans mon tort, je demande à la nature et à la société plus qu’elles ne peuvent donner. Ce que je cherche n’existe point, et je ne dois pas me plaindre de ne pas le trouver. Cependant, si la femme que nous rêvons n’est pas dans les conditions de la nature humaine, qui fait donc que nous n’aimons que celle-là et point les autres, puisque nous sommes des hommes, et que notre instinct devrait nous y porter d’une invincible manière ? Qui nous a donné l’idée de cette femme imaginaire ? de quelle argile avons-nous pétri cette statue invisible ? où avons-nous pris les plumes que nous avons attachées au dos de cette chimère ? quel oiseau mystique a déposé dans un coin obscur de notre âme l’œuf inaperçu dont notre rêve est éclos ? quelle est donc cette beauté abstraite que nous sentons, et que nous ne pouvons définir ? pourquoi, devant une femme souvent charmante, disons-nous quelquefois qu’elle est belle, — tandis que nous la trouvons fort laide ? Où est donc le modèle, le type, le patron intérieur qui nous sert de point de comparaison ? car la beauté n’est pas une idée absolue, et ne peut s’apprécier que par le contraste. — Est-ce au ciel que nous l’avons vue, — dans une étoile, — au bal, à l’ombre d’une mère, frais bouton d’une rose effeuillée ? — est-ce en Italie ou en Espagne ? est-ce ici ou là-bas, hier ou il y a longtemps ? était-ce la courtisane adorée, la cantatrice en vogue, la fille du prince ? une tête fière et noble ployant sous un lourd diadème de perles et de rubis ? un visage jeune et enfantin se penchant entre les capucines et les volubilis de la fenêtre ? — À quelle école appartenait le tableau où cette beauté ressortait blanche et rayonnante au milieu des noires ombres ? Est-ce Raphaël qui a caressé le contour qui vous plaît ? est-ce Cléomène qui a poli le marbre