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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

Si tu viens trop tard, ô mon idéal ! je n’aurai plus la force de t’aimer : — mon âme est comme un colombier tout plein de colombes. À toute heure du jour, il s’en envole quelque désir. Les colombes reviennent au colombier, mais les désirs ne reviennent point au cœur. — L’azur du ciel blanchit sous leurs innombrables essaims ; ils s’en vont, à travers l’espace, de monde en monde, de ciel en ciel, chercher quelque amour pour s’y poser et y passer la nuit : presse le pas, ô mon rêve ! ou tu ne trouveras plus dans le nid vide que les coquilles des oiseaux envolés.

Mon ami, mon compagnon d’enfance, tu es le seul à qui je puisse conter de pareilles choses. Écris-moi que tu me plains, et que tu ne me trouves pas hypocondriaque ; console-moi, je n’en ai jamais eu plus besoin : que ceux qui ont une passion qu’ils peuvent satisfaire sont dignes d’envie ! L’ivrogne ne rencontre de cruauté dans aucune bouteille ; il tombe du cabaret au ruisseau, et se trouve plus heureux sur son tas d’ordures qu’un roi sur son trône. Le sensuel va chez les courtisanes chercher de faciles amours, ou des raffinements impudiques : une joue fardée, une jupe courte, une gorge débraillée, un propos libertin, il est heureux ; son œil blanchit, sa lèvre se trempe ; il atteint au dernier degré de son bonheur, il a l’extase de sa grossière volupté. Le joueur n’a besoin que d’un tapis vert et d’un jeu de cartes gras et usé pour se procurer les angoisses poignantes, les spasmes nerveux et les diaboliques jouissances de son horrible passion. Ces gens-là peuvent s’assouvir ou se distraire ; — moi, cela m’est impossible.

Cette idée s’est tellement emparée de moi que je n’aime presque plus les arts, et que la poésie n’a plus pour moi aucun charme ; ce qui me ravissait autrefois ne me fait pas la moindre impression.