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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

dois être aimé. — Mais pourquoi l’amour m’est-il venu avant la maîtresse ! pourquoi ai-je soif sans avoir de fontaine où m’étancher ? ou pourquoi ne sais-je pas voler, comme ces oiseaux du désert, à l’endroit où est l’eau ? Le monde est pour moi un Sahara sans puits et sans dattiers. Je n’ai pas dans ma vie un seul coin d’ombre où m’abriter du soleil : je souffre toutes les ardeurs de la passion sans en avoir les extases et les délices ineffables ; j’en connais les tourments, et n’en ai pas les plaisirs. Je suis jaloux de ce qui n’existe pas ; je m’inquiète pour l’ombre d’une ombre ; je pousse des soupirs qui n’ont point de but ; j’ai des insomnies que ne vient pas embellir un fantôme adoré ; je verse des larmes qui coulent jusqu’à terre sans être essuyées ; je donne au vent des baisers qui ne me sont point rendus ; j’use mes yeux à vouloir saisir dans le lointain une forme incertaine et trompeuse ; j’attends ce qui ne doit point venir, et je compte les heures avec anxiété, comme si j’avais un rendez-vous.

Qui que tu sois, ange ou démon, vierge ou courtisane, bergère ou princesse, que tu viennes du nord ou du midi, toi que je ne connais pas et que j’aime ! oh ! ne te fais pas attendre plus longtemps, ou la flamme brûlera l’autel, et tu ne trouveras plus à la place de mon cœur qu’un morceau de cendre froide. Descends de la sphère où tu es ; quitte le ciel de cristal, esprit consolateur, et viens jeter sur mon âme l’ombre de tes grandes ailes. Toi, femme que j’aimerai, viens, que je ferme sur toi mes bras ouverts depuis si longtemps. Portes d’or du palais qu’elle habite, roulez-vous sur vos gonds ; humble loquet de sa cabane, lève-toi ; rameaux des bois, ronces des chemins, décroisez-vous ; enchantements de la tourelle, charmes des magiciens, soyez rompus ; ouvrez-vous, rangs de la foule, et la laissez passer.