Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/56

Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

que nous choisirons notre divinité. — Hélas ! j’ai bien peur, quoiqu’il ne reste plus que cela, que nous n’y trouvions pas encore ce que nous voulons.

Si je venais à aimer un de ces pâles narcisses tout baignés d’une tiède rosée de pleurs, et se penchant avec une grâce mélancolique sur le tombeau de marbre neuf de quelque mari heureusement et fraîchement décédé, je serais certainement, et au bout de peu de temps, aussi malheureux que l’époux défunt en son vivant. Les veuves, si jeunes et si charmantes qu’elles soient, ont un terrible inconvénient que n’ont pas les autres femmes : pour peu que l’on ne soit pas au mieux avec elles et qu’il passe un nuage dans le ciel d’amour, elles vous disent tout de suite avec un petit air superlatif et méprisant : — Ah ! comme vous êtes aujourd’hui ! C’est absolument comme monsieur : — quand nous nous querellions, il n’avait pas autre chose à me dire ; c’est singulier, vous avez le même son de voix et le même regard ; quand vous prenez de l’humeur, vous ne sauriez vous imaginer combien vous ressemblez à mon mari ; — c’est à faire peur. — Cela est agréable de s’entendre dire de ces choses-là en face et à bout portant ! Il y en a même qui poussent l’impudence jusqu’à louer le défunt comme une épitaphe et à exalter son cœur et sa jambe aux dépens de votre jambe et de votre cœur. — Au moins, avec les femmes qui n’ont qu’un ou plusieurs amants, on a cet ineffable avantage de ne s’entendre jamais parler de son prédécesseur, ce qui n’est pas une considération d’un médiocre intérêt. Les femmes ont un trop grand amour du convenable et du légitime pour ne pas se taire soigneusement en pareille occurrence, et toutes ces choses sont mises le plus tôt possible au rang des olim. — Il est bien entendu qu’on est toujours le premier amant d’une femme.