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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

mon vœu, j’ai une courbature morale si forte, et suis tellement harassé, qu’il me prend des défaillances, et que je n’ai plus assez de vigueur pour en jouir : aussi des choses qui me viennent sans que je les aie souhaitées me font-elles ordinairement plus de plaisir que celles que j’ai le plus ardemment convoitées.

J’ai vingt-deux ans ; je ne suis pas vierge. — Hélas ! on ne l’est plus à cet âge-là, maintenant, ni de corps, — ni de cœur, — ce qui est bien pis. — Outre celles qui font plaisir aux gens pour la somme et qui ne doivent pas plus compter qu’un rêve lascif, j’ai bien eu par-ci par-là, dans quelque coin obscur, quelques femmes honnêtes ou à peu près, ni belles ni laides, ni jeunes ni vieilles, comme il s’en offre aux jeunes gens qui n’ont point d’affaire réglée, et dont le cœur est dans le désœuvrement. — Avec un peu de bonne volonté et une assez forte dose d’illusions romanesques, on appelle cela une maîtresse, si l’on veut. — Quant à moi, ce m’est une chose impossible, et j’en aurais mille de cette espèce que je n’en croirais pas moins mon désir aussi inaccompli que jamais.

Je n’ai donc pas encore eu de maîtresse, et tout mon désir est d’en avoir une. — C’est une idée qui me tracasse singulièrement ; ce n’est pas effervescence de tempérament, bouillon du sang, premier épanouissement de puberté. Ce n’est pas la femme que je veux, c’est une femme, une maîtresse ; je la veux, je l’aurai, et d’ici à peu ; si je ne réussissais pas, je t’avoue que je ne me relèverais pas de là, et que j’en garderais devant moi-même une timidité intérieure, un découragement sourd qui influerait gravement sur le reste de ma vie. — Je me croirais manqué sous de certains rapports, inharmonique ou dépareillé, — contrefait d’esprit ou de cœur ; car enfin ce que je demande est juste, et la