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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

ne peux t’imaginer les grandes tristesses et les profonds désespoirs où je tombe quand je vois que tout cela n’aboutit à rien, et que ma jeunesse se passe et qu’aucune perspective ne s’ouvre devant moi ; alors toutes mes passions inoccupées grondent sourdement dans mon cœur, et se dévorent entre elles faute d’autre aliment, comme les bêtes d’une ménagerie auxquelles le gardien a oublié de donner leur nourriture. Malgré les désappointements étouffés et souterrains de tous les jours, il y a quelque chose en moi qui résiste et ne veut pas mourir. Je n’ai pas d’espérance, car, pour espérer, il faut un désir, une certaine propension à souhaiter que les choses tournent d’une manière plutôt que d’une autre. Je ne désire rien, car je désire tout. Je n’espère pas, ou plutôt je n’espère plus ; — cela est trop niais, — et il m’est profondément égal qu’une chose soit ou ne soit pas. — J’attends, — quoi ? Je ne sais, mais j’attends.

C’est une attente frémissante, pleine d’impatience, coupée de soubresauts et de mouvements nerveux, comme doit l’être celle d’un amant qui attend sa maîtresse. — Rien ne vient ; — j’entre en furie ou me mets à pleurer. — J’attends que le ciel s’ouvre et qu’il en descende un ange qui me fasse une révélation, qu’une révolution éclate et qu’on me donne un trône, qu’une vierge de Raphaël se détache de sa toile, et me vienne embrasser, que des parents que je n’ai pas meurent et me laissent de quoi faire voguer ma fantaisie sur un fleuve d’or, qu’un hippogriffe me prenne et m’emporte dans des régions inconnues. — Mais, quoi que j’attende, ce n’est à coup sûr rien d’ordinaire et de médiocre.

Cela est poussé au point que, lorsque je rentre chez moi, je ne manque jamais à dire : — Il n’est venu per-