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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

coup que je me trompe, que ce n’est pas là assurément, qu’il faut aller plus loin, à l’autre bout de la ville, que sais-je ? — Et je prends ma course comme si le diable m’emportait. — Je ne touche le sol que du bout des pieds, et ne pèse pas une once. — Je dois en vérité avoir l’air singulier avec ma mine affairée et furieuse, mes bras gesticulants et les cris inarticulés que je pousse. — Quand j’y songe de sang-froid, je me ris au nez à moi-même de tout mon cœur, ce qui ne m’empêche pas, je te prie de le croire, de recommencer à la prochaine occasion.

Si l’on me demandait pourquoi je cours ainsi, je serais certainement fort embarrassé de répondre. Je n’ai pas de hâte d’arriver, puisque je ne vais nulle part. Je ne crains pas d’être en retard, puisque je n’ai pas d’heure. — Personne ne m’attend, — et je n’ai aucune raison de me presser ici.

Est-ce une occasion d’aimer, une aventure, une femme, une idée ou une fortune, quelque chose qui manque à ma vie et que je cherche sans m’en rendre compte, et poussé par un instinct confus ? est-ce mon existence qui se veut compléter ? est-ce l’envie de sortir de chez moi et de moi-même, l’ennui de ma situation et le désir d’une autre ? C’est quelque chose de cela, et peut-être tout cela ensemble. — Toujours est-il que c’est un état fort déplaisant, une irritation fébrile à laquelle succède ordinairement la plus plate atonie.

Souvent j’ai cette idée que, si j’étais parti une heure plus tôt, ou si j’avais doublé le pas, je serais arrivé à temps ; que, pendant que je passais par cette rue, ce que je cherche passait par l’autre, et qu’il a suffi d’un embarras de voitures pour me faire manquer ce que je poursuis à tout hasard depuis si longtemps. — Tu