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MADEMOISELLE DE MAUPIN.

rent, et sa robe tomba sur ses pieds comme par enchantement. Elle demeura tout debout comme une blanche apparition avec une simple chemise de la toile la plus transparente. Le bienheureux amant s’agenouilla, et eut bientôt jeté chacun dans un coin opposé de l’appartement les deux jolis petits souliers à talons rouges ; — les bas à coins brodés les suivirent de près.

La chemise, douée d’un heureux esprit d’imitation, ne resta pas en arrière de la robe : elle glissa d’abord des épaules sans qu’on songeât à la retenir ; puis, profitant d’un moment où les bras étaient perpendiculaires, elle en sortit avec beaucoup d’adresse et roula jusqu’aux hanches dont le contour ondoyant l’arrêta à demi. — Rosalinde s’aperçut alors de la perfidie de son dernier vêtement, et leva son genou pour l’empêcher de tomber tout à fait. — Ainsi posée, elle ressemblait parfaitement à ces statues de marbre des déesses, dont la draperie intelligente, fâchée de recouvrir tant de charmes, enveloppe à regret les belles cuisses, et par une heureuse trahison s’arrête précisément au-dessous de l’endroit qu’elle est destinée à cacher. — Mais, comme la chemise n’était pas de marbre et que ses plis ne la soutenaient pas, elle continua sa triomphale descente, s’affaissa tout à fait sur la robe, et se coucha en rond autour des pieds de sa maîtresse comme un grand lévrier blanc.

Il y avait assurément un moyen fort simple d’empêcher tout ce désordre, celui de retenir la fuyarde avec la main : cette idée, toute naturelle qu’elle fût, ne vint pas à notre pudique héroïne.

Elle resta donc sans aucun voile, ses vêtements tombés lui faisant une espèce de socle, dans tout l’éclat diaphane de sa belle nudité, aux douces lueurs d’une lampe d’albâtre que d’Albert avait allumée.