Page:Gautier - Mademoiselle de Maupin (Charpentier 1880).djvu/416

Cette page a été validée par deux contributeurs.
410
MADEMOISELLE DE MAUPIN.

joues et sur la bouche. — Ce dernier baiser dura plus longtemps que les autres, et aurait pu compter pour quatre. — Rosalinde vit que tout ce qu’elle avait fait jusqu’alors n’était que pur enfantillage. — Sa dette acquittée, elle s’assit sur les genoux de d’Albert encore tout émue, et, passant ses doigts dans ses cheveux, elle lui dit :

— Toutes mes cruautés sont épuisées, mon doux ami ; j’avais pris ces quinze jours pour satisfaire à ma férocité naturelle ; je vous avouerai que je les ai trouvés longs. N’allez pas devenir fat parce que je suis franche, mais cela est vrai. — Je me remets entre vos mains, vengez-vous de mes rigueurs passées. — Si vous étiez un sot, je ne vous dirais pas cela, et même je ne vous dirais pas autre chose, car je n’aime pas les sots. — Il m’aurait été bien facile de vous faire croire que j’étais prodigieusement choquée de votre hardiesse, et que vous n’auriez pas assez de tous vos platoniques soupirs et de votre plus quintessencié galimatias pour vous faire pardonner une chose dont j’étais fort aise ; j’aurais pu, comme une autre, vous marchander longtemps et vous donner en détail ce que je vous accorde librement et en une fois ; mais je ne pense pas que vous m’en eussiez aimée l’épaisseur d’un seul cheveu de plus. — Je ne vous demande ni serment d’amour éternel, ni protestation exagérée. — Aimez-moi tant que le bon Dieu voudra. — J’en ferai autant de mon côté. — Je ne vous appellerai pas perfide et misérable, quand vous ne m’aimerez plus. — Vous aurez aussi la bonté de m’épargner les titres odieux correspondants, s’il m’arrive de vous quitter. — Je ne serai qu’une femme qui aura cessé de vous aimer, — rien de plus. — Il n’est pas nécessaire de se haïr toute la vie, à cause que l’on a couché une nuit ou deux ensemble. — Quoi qu’il arrive, et où que la destinée me pousse, je